La Presse – 3 novembre 2023

Chroniqueur Stéphane Laporte

Photo Ivanov Demers, archives la presse

 

« Si le Handicap était un pays, ce serait le troisième pays en population de la planète. Ce serait une puissance. Mais c’est une faiblesse. Car ce milliard de personnes est isolé aux quatre coins du monde », dit notre chroniqueur Stéphane Laporte.

C’est aujourd’hui la Journée internationale des personnes handicapées. OK. Mais encore ? Les journées internationales ont été créées pour parler d’un sujet dont on ne parlerait pas s’il n’y avait pas de journée internationale pour nous donner une raison de le faire.

 

Il n’y a pas de Journée internationale du Canadien de Montréal, pas de Journée internationale de Taylor Swift, pas de Journée internationale des cônes orange. On en parle sans arrêt.

Mais des personnes handicapées, entre le 4 décembre et le 2 décembre de l’année suivante, c’est silence radio, télé, journaux, réseaux.

J’exagère. Il y a un mois, une personne handicapée a fait les manchettes parce qu’elle a dû sortir d’un avion en rampant, Air Canada ne lui donnant pas accès à son fauteuil roulant ni à aucune assistance. À part ça ? Ah oui, lors du lancement du REM, plusieurs médias ont noté les nombreux manquements à l’accessibilité universelle : ascenseur en panne, stationnements trop étroits, guichets trop hauts.

C’est tout ? Pas mal tout. Alors aujourd’hui, puisqu’il est permis d’en parler, allons-y !

Sur le site des Nations unies, on apprend qu’il y a un milliard de personnes handicapées dans le monde. Un milliard ! Si le Handicap était un pays, ce serait le troisième pays en population de la planète. Ce serait une puissance. Mais c’est une faiblesse. Car ce milliard de personnes est isolé aux quatre coins du monde. Plus pauvre et moins instruit.

Quarante-six pour cent des personnes âgées de 60 ans et plus sont en situation de handicap. C’est bête à dire, mais le handicap, c’est l’avenir. Une femme sur cinq est susceptible de se retrouver en situation de handicap au cours de sa vie. Et un enfant sur dix vit avec un handicap.

Comment se fait-il qu’avec ces chiffres si astronomiques, les personnes handicapées soient si peu présentes dans la société ? Parmi elles, il y a des personnes non voyantes, mais aucune non visible.

Au Québec, il y a un million trois cent mille personnes handicapées. Un million trois cent mille ! Si le Handicap était une ville, ce serait la deuxième ville du Québec. Combien en avez-vous croisé aujourd’hui ?

Comment se fait-il qu’on accorde si peu d’espace aux problèmes qui touchent une partie aussi importante de la population ? Comment se fait-il qu’on laisse un être humain se déplacer de peine et de misère dans un endroit public sans l’aider ? Comment se fait-il qu’un réseau à la fine pointe du progrès ne soit pas cent pour cent adapté ?

Je n’ai pas de réponse, outre que l’ennemi de la différence, c’est l’indifférence. Cette indifférence qui règne de décembre en décembre.

Si vous voulez changer les choses et vous sensibiliser à la cause des personnes handicapées, la cérémonie virtuelle des Prix À part entière sera webdiffusée, le mardi 5 décembre. Pour y assister, il faut s’inscrire sur le site de l’Office des personnes handicapées du Québec. Vous découvrirez des gens pour qui le mieux-être des personnes handicapées n’est pas l’affaire d’une journée, mais d’une vie. Elles sont souvent elles-mêmes handicapées. On n’est jamais aussi bien servi que par soi-même.

Je pense à Michel Lepage, en lice pour le Prix À part entière, dans la catégorie Individus. Ce militant des droits des personnes sourdes, lui-même atteint de surdité, a fait entendre sa voix pour que les gens comme lui aient accès aux études supérieures, grâce au service en langue des signes.

Il y a aussi Pierre-Yves Lévesque, né avec une paralysie cérébrale, qui a consacré sa vie à faire avancer les dossiers de l’inclusion sociale, de l’accès à l’emploi, des services de soutien à domicile, du transport public, de l’aménagement urbain et des chiens d’assistance. Des dossiers qui ont souvent beaucoup plus de difficulté à avancer que ceux à qui ils viennent en aide.

Ajoutez Paul Gaudet, enseignant à l’Université du Québec, qui a créé un programme pour que les étudiants des départements des sciences de l’éducation, des arts, des sciences de l’activité physique et de la santé prennent sous leur aile des élèves ayant une déficience intellectuelle avec ou sans trouble du spectre de l’autisme. Grâce à lui, l’université devient vraiment universelle.

Sans oublier Julie Normandin, qui a fondé les AS à Trois-Rivières, un club de soccer inclusif destiné aux enfants de moins de 12 ans qui ont une déficience intellectuelle ou un trouble du spectre de l’autisme.

Enfin, le dernier candidat dans la catégorie Individus est Richard Saulnier, atteint de sclérose en plaques. Il est le créateur du projet Logis des Aulniers, dont le but est d’offrir des habitations aux personnes à mobilité réduite.

Le Prix À part entière vise à rendre hommage aux personnes et aux organisations qui contribuent à accroître la participation sociale des personnes handicapées. Il se décline en cinq catégories : Individus ; Organismes à but non lucratif ; Municipalités, MRC et autres communautés ; Établissements d’enseignement soutenant la réussite éducative ; Entreprises soutenant l’intégration et le maintien en emploi de personnes handicapées.

Merci, en ce 3 décembre, d’avoir inclus un texte sur les personnes handicapées dans vos lectures. L’inclusion, ça commence dans le cœur. Le seul endroit assez grand pour un milliard de personnes.